En octobre 2021, le Mouvement du 23 mars (M23) a relancé sa rébellion dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) région en conflit permanent depuis 30 ans. Vaincu en 2013, le M23 reconstitué s’est rapidement emparé d’une bonne partie du territoire de Rutshuru, voisin au Rwanda et à l’Ouganda, avant d’avancer dans le territoire de Masisi.
La crise qui s’en est suivie a intensifié les tensions géopolitiques historiques entre la RDC et le Rwanda et aurait déplacé près d’un million de civils, provoquant une situation humanitaire désastreuse.
Parallèlement à la montée soudaine du M23, les relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali se sont tendues. Depuis janvier, le Rwanda a proféré des menaces voilées d’intervention officielle sur le sol congolais et a tiré sur un avion de chasse congolais, tandis que la RDC a engagé des mercenaires d’Europe de l’Est, enrôlé une « force de réserve » composée de milices et rallié des groupes armés en tant qu’auxiliaires.
Outre la médiation angolaise pour le compte de l’Union africaine, l’organisation régionale « East African Community » (EAC) a été le fer de lance des efforts diplomatiques, suite à l’adhésion de la RDC en mars 2022 en tant que septième membre. Pourtant, les différents cessez-le-feu qu’elle a négociés ont été violés presque immédiatement après leur annonce.
Une force régionale de l’EAC a finalement été déployée en avril de cette année et a pour mandat de veiller au respect du dernier cessez-le-feu et de superviser le retrait promis par le M23 de certaines zones.
Si la situation militaire s’est quelque peu apaisée, l’impasse politique perdure. Le conflit a été entretenu par des accusations mutuelles, une diplomatie inefficace et une négligence des dynamiques structurelles du conflit – en particulier, les tensions géopolitiques récurrentes et les guerres par procuration dans la région des Grands Lacs, ainsi que le faible engagement de l’État congolais à traiter les griefs et la manipulation des élites qui favorisent la prolifération des groupes armés.
L’impasse actuelle est aussi marquée par des récits radicalement différents sur les origines du conflit, soutenus par le M23, Kigali et Kinshasa et leurs partisans respectifs.
Le M23 insiste depuis longtemps pour que ses revendications politiques soient prises en compte, comme le prévoit l’accord qu’il a signé en décembre 2013 avec le gouvernement congolais, à la suite d’une défaite militaire qui a poussé ses commandants et ses troupes à fuir vers l’Ouganda et le Rwanda.
Ces demandes sont centrées sur la garantie d’un retour en toute sécurité de ses membres en RDC et sur la fin de la discrimination et de l’insécurité des Tutsis congolais, y compris le retour des réfugiés tutsis congolais des pays voisins.
En 2017, l’absence de mise en œuvre de cet accord a incité la partie ougandaise du groupe, dirigée par Sultani Makenga, à retourner en RDC. Curieusement, le retour du groupe est passé largement inaperçu et semblait se contenter de contrôler un petit espace perché entre les volcans de l’est de la RDC.
Pourquoi, alors, a-t-il commencé à intensifier ses attaques à la fin de l’année 2021 ?
Le groupe affirme avoir été attaqué soudainement par l’armée congolaise, après que Kinshasa a déclaré l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri en mai 2021, dans le but de vaincre tous les groupes armés qui n’adhéreraient pas volontairement à un nouveau programme de démobilisation.
Ces événements faisaient suite à l’échec des efforts déployés pour trouver un accord entre le M23 et le gouvernement congolais, qui avait secrètement accueilli une délégation du groupe armé à Kinshasa depuis mi-2020. Cependant, cette délégation n’a jamais été reçue par les représentants du gouvernement, ce qui a provoqué des frustrations au sein du M23.
Kinshasa, qui a publié en décembre 2022 un « livre blanc » documentant le soutien rwandais au M23, avance une explication très différente de la résurgence du M23. Ce narratif met l’accent sur l’ingérence du Rwanda, suivant l’historique de parrainage rwandais des rébellions dans l’est de la RDC.
Des observateurs indépendants, y compris des experts de l’ONU, ont en effet documenté un important soutien rwandais, y compris des transferts d’armes et de munitions, la facilitation du recrutement et même un soutien direct au combat par la Force de défense rwandaise (RDF).
Cette implication – à la fois historique et actuelle – découle d’une combinaison d’intérêts sécuritaires, politiques et économiques, tout en s’appuyant sur un échafaudage idéologique de l’idée du « Grand Rwanda ».
Cette notion fait référence aux représentations historiques contestées du royaume rwandais précolonial qui s’étendait dans certaines parties de la RDC actuelle, y compris les régions habitées par des populations parlant le kinyarwanda (Hutu et Tutsi) qui partagent une langue commune avec le Rwanda.
Dans sa lutte contre le M23, la RDC a ébranlé Kigali en renouvelant son partenariat avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), l’un des nombreux groupes armés avec lesquels l’armée congolaise s’est associée.
Les FDLR constituent un menace sécuritaire considérable pour le Rwanda. Ils trouvent leur origine dans l’ancienne armée rwandaise et les milices « interahamwe » qui ont perpétré le Génocide contre les Tutsis en 1994.
Bien que leur puissance militaire ait considérablement diminué au cours des dernières décennies, les FDLR continuent de recruter et de véhiculer l’idéologie du génocide. Le Rwanda perçoit donc les FDLR comme une véritable menace pour sa sécurité, même si certains l’accusent de gonfler cette menace pour des raisons d’utilité politique.
Le commerce transfrontalier est également un aspect important des relations rwando-congolaises, notamment due aux intérêts du Rwanda. L’est de la RDC est une destination clé des exportations informelles du Rwanda, tandis qu’une bonne partie des exportations congolaises vers le Rwanda sont des minerais de contrebande, qui sont ensuite officiellement réexportés.
Si l’économie rwandaise s’est diversifiée depuis la forte dépendance à l’égard des minerais congolais pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), ces minerais, en particulier l’or, constituent toujours une source importante de devises étrangères pour un pays dont le déficit commercial reste important.
Toutefois, à la fin de 2021, le Rwanda a senti que son influence dans l’est de la RDC diminuait en raison du rapprochement entre la RDC et l’Ouganda – un pays avec lequel le Rwanda a eu des relations instables au cours des dernières années.
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